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il m’a soufflé à l’oreille : « Sauve-toi, ou pour sûr on te pendra. » Dame, je n’ai pas eu envie de rester pour être pendu. Alors j’ai couru jusqu’à l’endroit où sont les canots, et en arrivant ici j’ai dit à Jim de se dépêcher, parce qu’on me prenait pour un voleur. Il a été joliment fâché d’apprendre que je vous croyais déjà pendu, et il a été aussi content que moi quand nous vous avons vu arriver. Demandez-lui.

— Oh ! je n’en doute pas, répliqua le roi, qui me secoua de nouveau et menaça de me jeter à l’eau.

— Lâchez donc ce garçon, vieil idiot, dit le duc. Auriez-vous agi autrement, vous ? Vous êtes-vous inquiété de ce qu’il était devenu avant de décamper ?

Le roi me lâcha ; puis il se mit à cribler d’injures la ville de Nantuck et tous ceux qui l’habitaient. Le duc l’interrompit encore.

— Il serait plus juste de vous adresser tous ces compliments à vous-même, dit-il. Vous n’avez rien fait, dès le début, qui ait le sens commun, sauf dans l’affaire du tatouage. Si vous n’aviez pas répondu sans hésiter, nous étions coffrés jusqu’à l’arrivée des bagages de maître Harvey, et alors, un an ou dix-huit mois de détention ! J’ai admiré votre crânerie ; mais, en somme, ce n’est pas là ce qui nous a sauvés. Si les badauds avaient été moins pressés de voir nos 6 000 dollars, nous porterions ce soir une cravate économique qui nous aurait dispensés d’en jamais acheter une autre.

— Hum ! dit le vieux, après une minute ou deux de réflexion. Et nous avons cru que les nègres avaient volé cet argent.

Pour le coup, j’eus peur.

— Oui, nous l’avons cru, répéta le duc d’un ton railleur.

— Ou plutôt j’ai été assez bête pour le croire, répliqua le roi sur le même ton.

— Au contraire, c’est moi qui ai donné dans le panneau.

— Bridgewater, à quoi bon nous disputer ? Vous m’avez joué là un vilain tour ; mais…

— Comment, vous osez m’accuser ?