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dans un coin de la chambre. Alors les deux frères… je veux dire les deux gredins, dont l’un avait passé le bras autour du cou de l’autre, se dirigèrent de ce côté, le visage caché dans leur mouchoir. On s’écarta pour leur laisser le passage libre et toute conversation cessa ; vous auriez entendu tomber une épingle.

Une fois agenouillés près du cercueil, ils firent semblant de sangloter. Non, je n’ai jamais vu des gens fondre en eau aussi facilement. Cela ne dura que deux ou trois minutes, heureusement pour eux, car ils commençaient à me dégoûter. Si Jim avait été là, je crois qu’ils seraient restés à genoux moins longtemps et le roi n’aurait pas eu l’occasion de faire le petit discours qu’il débita en pleurnichant dès qu’il se fut relevé.

Il répéta que c’était une cruelle épreuve pour lui et pour son frère William. Sans l’affreuse tempête pendant laquelle leur navire avait failli périr, ils seraient arrivés à temps… Mais l’épreuve était adoucie par toutes ces démonstrations de sympathie, par ces larmes versées en commun, par la vue de ces jeunes orphelines dont sa présence contribuerait à alléger le chagrin. Elles ne manquaient pas d’amis, il le voyait, et ces amis, il les remerciait du fond du cœur, en son nom et au nom de son frère William, à qui la Providence avait refusé le don de la parole.

Ah ! je lui aurais volontiers coupé la parole, à lui, quitte à me faire écharper par les sottes qui pleuraient en l’écoutant.

Enfin, après avoir marmotté une demi-douzaine de phrases qui avaient l’air d’une prière, il leva les yeux au plafond et lança un Amen ! Aussitôt quelqu’un dans la foule entonna le premier vers d’un cantique et on se mit à chanter. On se serait cru à l’église. La musique a du bon, elle me fit presque oublier les pleurnicheries de ce vieil imposteur. Mais il n’était pas encore au bout de son rouleau. Lorsqu’on fut arrivé à la fin du cantique, il s’avança de nouveau et dit d’un ton beaucoup moins larmoyant :

— Nous serons très heureux, mes nièces, mon frère et moi, si les