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XVIII
un deuil de famille.


Le jour commençait à baisser lorsque nous amarrâmes notre radeau au bord d’une île située presque au milieu du fleuve. De chaque côté on voyait une petite ville où Bridgewater pensa qu’il y avait peut-être quelque chose à tenter. Sa première idée fut de donner de nouvelles représentations du Caméléopard ; mais le roi déclara qu’il ne serait pas prudent de recommencer trop tôt.

— Avez-vous un meilleur projet en tête ? demanda le duc.

— À quoi bon former un projet sans avoir sondé le terrain ? Pour le moment, il s’agit de souper et de dormir. Demain, j’irai jeter un coup d’œil là-bas et nous verrons si cela vaut la peine de nous arrêter.

J’ai oublié de dire qu’ils s’étaient habillés à neuf aux dépens des spectateurs dont ils avaient empoché l’argent. Je ne me serais jamais figuré à quel point les habits changent un homme. Vous les auriez pris pour de vrais gentlemen. Le roi surtout paraissait si respectable, si bon, si doux, que personne ne l’aurait soupçonné d’avoir rempli le rôle d’un caméléopard. Son costume noir lui donnait l’air d’un clergyman ; mais je ne m’y fiais pas et j’avais encore plus peur de lui que du duc.

Le lendemain, le roi, après avoir déjeuné d’un aussi bon appétit que s’il n’avait pas soupé comme un ogre, m’ordonna de préparer le canot, puis continua à causer avec son ami ; quand je revins, j’entendis la fin de leur conversation.

— C’est entendu, Bridgewater ; si je ne lève pas un lièvre, vous vous mettrez en chasse du côté de l’Arkansas.

— Pourquoi choisissez-vous la rive la plus éloignée ?