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Nous attendîmes, pour partir, le coucher du soleil. Le roi et le duc s’étaient glissés dans le wigwam, après m’avoir recommandé de n’allumer notre lanterne que quand le radeau se trouverait assez loin de la ville.

Ce ne fut que vers dix heures que l’orage éclata. Non, je n’ai jamais entendu le vent hurler de la sorte ; à chaque minute partait un éclair qui embrasait tout le ciel et montrait les crêtes blanches des vagues à un demi-mille de distance. À travers la pluie on voyait la côte comme à travers un nuage de poussière. Les arbres semblaient se tordre sous l’effort de la rafale ; puis venait un h-wackbroum, broum, boum… oum, qui s’éloignait en grondant, suivi d’un autre éclair et d’un autre coup de tonnerre. Lors même que le wigwam eût été vide, je n’aurais pas songé à me coucher. On ne voit pas tous les jours un orage comme celui-là.

Plus d’une fois les vagues faillirent m’enlever. Peu m’importait. Je ne serais guère remonté à bord plus mouillé que je ne l’étais déjà.

Peu à peu l’orage se calma. Jim pouvait se passer de moi maintenant, et je me dirigeai vers le wigwam ; mais pour y entrer il aurait fallu marcher sur les jambes du roi ou sur celles du duc. Je m’allongeai donc en plein air. Il ne pleuvait presque plus et je me moquais de la pluie, parce qu’elle n’était pas froide. Jim finit par me réveiller ; je pris sa place et il ne tarda pas à ronfler.

Au point du jour, je le réveillai à son tour et, selon notre coutume, nous remisâmes le radeau dans une bonne cachette.

Nos voyageurs avaient-ils bien dormi ? Je n’en sais rien. En tout cas, ils ne nous remercièrent seulement pas d’avoir veillé pour eux.

Après déjeuner, le roi tira de sa poche un paquet de cartes et proposa au duc une partie de seven-up, à 5 cents la partie, pour passer le temps. Ils en eurent bientôt assez.

— Bah ! dit le duc en riant, nous jouerions jusqu’à demain sans nous faire de mal — nous sommes de même force, et au besoin cela