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prochais d’avoir traité de gueux le fidèle Simon, et en même temps j’étais fier de voyager avec un Dauphin. Nous essayâmes donc de le consoler, comme nous avions cherché à consoler l’autre.

— Merci, dit-il. Le duc a raison, vous êtes de braves cœurs. Vous voudriez me voir oublier mes chagrins ? Eh bien, apppelez-moi « Votre Majesté » ou « Votre Altesse », et servez-moi toujours le premier. Je ne vous demande pas de vous tenir tête découverte devant moi, parce que ce serait vous exposer à attraper un coup de soleil ; seulement sachez qu’on ne s’assoit pas en présence du roi sans qu’il vous y ait invité… C’est là un privilège qui n’appartient qu’aux princes et aux ducs, ajouta-t-il en se tournant vers Bridgewater qui semblait sur le point de se rebiffer.

Après avoir ainsi établi ses droits, sa majesté retrouva sa bonne humeur, bien que Jim s’obstinât à l’appeler massa ; mais le duc devint fort grincheux. Cependant le roi lui parla très amicalement ; il déclara qu’il se souvenait que son père estimait beaucoup les Bridgewater et les invitait à dîner deux ou trois fois par semaine. Le duc, toutefois, conservait son air grognon. Enfin, un matin, j’entendis le roi qui lui disait :

— Voyons, Bridgewater, il est probable que nous serons obligés de passer quelque temps sur ce radeau. À quoi bon vous faire de la bile ? Ce n’est pas ma faute si je ne suis pas né duc et ce n’est pas la vôtre si vous n’êtes pas né roi. Il faut prendre les choses comme elles viennent, en attendant mieux. Voilà ma devise. Nous aurions pu tomber plus mal. Les vivres ne manquent pas et nous n’avons qu’à nous croiser les bras. Nous ne gagnerions rien à nous quereller. Allons, votre main, duc, et soyons amis.

À ma grande joie, le duc y consentit ; je dis à ma grande joie, parce que des fois ils se regardaient d’un air si méchant que Jim avait peur de les voir se jeter l’un sur l’autre.

Il ne me fallut pas beaucoup de temps pour deviner que ces deux fourbes se gaussaient de nous, qu’ils n’étaient pas plus duc ou dauphin