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— Oh ! Jack est un malin. Il ne m’a jamais dit que tu étais ici et m’a emmené sous prétexte de me montrer des souliers de Notre-Dame. Si l’on découvre quelque chose, il pourra jurer qu’il ne nous a pas vus ensemble.

Je quittai Jim et je retournai vers la maison où régnait un silence inusité. Je me mis à rôder à l’aventure, avec l’espoir de rencontrer Georges. Près de l’écurie, j’aperçus Jack.

— On dirait que la maison est vide ? lui criai-je.

Il leva les bras vers le ciel et me regarda d’un air effrayé.

— Quoi, massa, vous ne savez pas ce qui est arrivé ?

— Qu’est-il arrivé ? parle !

— Les Shepherdson sont en campagne. Ils se sont emparés de miss Sophie. On croit qu’ils l’ont tuée et tout le monde est à cheval pour la venger. Nous allons entendre le bruit de la bataille, massa Huck, et elle sera terrible.

Les paroles de Jack me serrent le cœur, les oreilles me tintent, j’ai des larmes plein les yeux. Hélas, miss Sophie, si bonne — morte, noyée ! Et c’est moi qui, pour lui obéir, l’ai livrée à ses bourreaux ! Une détonation retentit. Je m’élance vers la rivière. Pour le coup, moi aussi, je voudrais frapper un Shepherdson. Je rencontre Georges. Il est écarlate et semble hors de lui.

— Comment, tu n’as pas de fusil ! me dit-il. Tu ignores donc ce qui se passe ? Les Shepherdson ont emmené Sophie.

— Qui dit cela ? m’écriai-je.

— Un pêcheur qui est aussitôt venu prévenir mon père.

Ah ! ce pêcheur, j’avais raison de me méfier de lui. Il appartenait à cette race de gens qui racontent de travers tout ce qu’ils voient. Je crois bon d’instruire Georges de la vérité ; mais il m’écoute avec impatience, car il voit un de ses frères prêt à échanger une balle avec un Shepherdson. Il m’écoute jusqu’au bout cependant et m’entraîne vers son père. Je raconte de nouveau que c’est moi qui, sur sa demande, ai conduit miss Sophie de l’autre côté de la rivière, qu’elle se rendait