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Dès que je me trouvai seul avec Georges, je lui demandai :

— Est-ce que tu voulais le tuer ?

— Parbleu !

— Qu’est-ce qu’il t’a fait ?

— Lui ? Il ne m’a jamais rien fait.

— Alors pourquoi as-tu tiré sur lui ?

— Parce que c’est un Shepherdson.

— Drôle de raison !

— Très bonne, au contraire. Les Shepherdson ont tué trois de mes frères ; ils nous tueraient tous, s’ils le pouvaient, et on leur rend la pareille. Où donc as-tu été élevé ? Tu ne sais pas ce que c’est qu’une guerre de faction ?

— Non, et je ne serais pas fâché de le savoir.

— Eh bien, répliqua Georges, ces guerres-là commencent toujours de la même manière. Un homme a une dispute avec un voisin et il le tue. Alors un oncle ou un frère du voisin le venge, puis les parents des deux morts se mettent de la partie. On s’arrête quand une des familles a disparu ; mais cela demande du temps.

— Et ton affaire à toi dure depuis longtemps ?

— Je crois bien. Depuis plus de vingt ans.

— À quel propos s’est-on disputé ?

— Il y a eu procès, je crois, et celui qui l’a gagné a reçu une balle.

— Et qui a tiré le premier ? Un Grangerford ou un Shepherdson ?

— Comment veux-tu que je le sache ? je n’étais pas né.

— Et a-t-on tué beaucoup de monde ?

— Oui, il y a eu assez d’enterrements et assez de chances d’enterrements. Mon père, Thomas et Robert ont été blessés plusieurs fois — ils ne s’en portent pas plus mal. Cette année, les Shepherdson ont eu un mort et nous en avons eu un. Il y a trois mois, mon cousin Bud, qui avait quatorze ans à peine, traversait à cheval la forêt, de l’autre côté du fleuve. Il n’était pas armé — une fière bêtise de sa part. Arrivé dans un sentier, il entend derrière lui le pas d’un cheval et voit le