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gauche du fleuve. Je commençais à soupçonner quelque chose et Jim aussi se montrait inquiet.

— Nous avons peut-être dépassé le Caire et débouché dans l’Ohio au milieu du brouillard de l’autre soir, lui dis-je.

Quand le jour vint, la couleur de l’eau, claire sur les bords du fleuve et boueuse au milieu, me montra que mes craintes étaient fondées. Nous étions entrés dans l’Ohio, laissant derrière nous le Mississipi.

Nous tînmes conseil. Il ne fallait pas songer à débarquer ni à remonter le courant avec le radeau. Notre seule alternative était d’attendre le lever du soleil et de rebrousser chemin dans le canot. Nous nous reposâmes pendant toute la journée, car nous avions une rude besogne en perspective. Lorsque nous retournâmes au radeau vers la tombée de la nuit, le canot avait disparu.

— Allons, dis-je à Jim, il ne s’agit pas de se décourager. Ce que nous avons de mieux à faire, c’est de descendre le courant, puisqu’il n’y a plus moyen de le remonter. Le canot doit être loin ; mais l’occasion d’en acheter un autre se présentera, et alors nous rattraperons le temps perdu.

Ceux qui s’imaginent encore, après ce que je viens de raconter, que l’on peut manier impunément une peau de serpent, se rangeront à l’avis de Jim, s’ils ont la patience de lire ce chapitre jusqu’au bout.

Les propriétaires de chantiers et les conducteurs de radeaux refusent rarement de céder un de leurs canots, si on en offre un bon prix. Par malheur, il n’y avait ni chantiers ni radeaux le long des rives. Au bout de trois heures environ, le ciel s’obscurcit peu à peu et une buée grise cacha presque les étoiles. C’était une brume plutôt qu’un brouillard ; néanmoins on ne voyait pas très loin devant soi. Tout à coup, bouf, bouf ! broum, broum ! Un steamer remontait le fleuve. Il choisissait bien son moment !

Nous allumâmes notre lanterne, persuadés que les gens du bord la verraient, puisqu’une lueur rougeâtre nous annonçait leur approche. Nous entendions bien le vapeur ; mais nous ne le vîmes distincte-