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— Ah ! dit-il, au moment où je m’éloignais, je pourrai bientôt crier tout à mon aise, et je crierai que je suis un homme libre. C’est à vous que je le devrai, massa Huck. Sans vous, je serais encore esclave. Jim ne l’oubliera pas, Huck. Vous êtes le seul ami que Jim ait jamais eu.

Je partais avec l’intention de calmer mes remords en le dénonçant. Il avait bien besoin de me remercier. Ma résolution parut s’évanouir ; je m’éloignai lentement et je me demandai si je ne ferais pas mieux de revenir en arrière. Au même instant, je vis arriver un esquif monté par deux hommes armés de fusils. Ils me hélèrent et je dus m’arrêter.

— D’où viens-tu ? me demanda l’un d’eux. Qu’as-tu laissé là-bas ?

— Un bout de radeau, répliquai-je.

— C’est toi qui le conduis ?

— Oui, monsieur.

— Il y a du monde à bord ?

— Un seul homme, monsieur.

— Bien sûr ? Cinq nègres se sont enfuis ce soir, à peu de distance d’ici. Ton homme est-il un blanc ou un noir ?

Je ne répondis pas tout de suite. Les paroles s’arrêtaient dans mon gosier.

— C’est un blanc, répliquai-je enfin.

— Pourquoi as-tu hésité ? Nous allons voir.

— Oui, venez, je vous en prie. C’est mon père qui est là, trop malade pour ramer, et vous m’aiderez peut-être à remorquer le radeau.

— Diable ! je suis pressé, mon garçon. N’importe, nous ne te laisserons pas en plan. Reprends ton aviron, nous te suivons.

Je me dépêchai d’obéir et ils ramèrent de leur côté. Tout en pagayant, je leur dis :

— Mon père vous sera joliment obligé, je vous en réponds. Personne n’a voulu m’aider et je ne suis pas assez fort pour remorquer le radeau.