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la main droite sur l’aviron qui servait de gouvernail. La seconde rame avait été brisée en deux. L’embarcation était semée de feuilles mortes, de branches pourries et d’autres débris qui montraient qu’elle avait passé de mauvais quarts d’heure.

J’amarrai, je me couchai sur le radeau sous le nez de Jim ; puis je me mis à bâiller et à m’étirer les bras de façon à donner un coup de coude dans les côtes du nègre.

— Ah çà, Jim, est-ce que j’ai dormi ? Pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ? lui demandai-je, dès qu’il eut ouvert les yeux.

— Bonté du ciel ! s’écria-t-il. C’est bien vous ? Vous voilà revenu, mon vieux Huck ?

— Qu’est-ce qui te prend, Jim ? Tu as donc bu ?

— Bu ? Ai-je eu l’occasion de boire ?

— Alors pourquoi bats-tu la campagne ? Tu parles de mon retour comme si j’étais parti.

— Huck, Huck Finn, regardez-moi bien en face et répondez-moi. Est-ce que vous n’êtes pas parti ?

— Mais non ! mais non !

— Vous plaisantez, massa Huck. Ne vous ai-je pas vu monter dans le canot pour amarrer le radeau à un arbre ?

— Moi !

— Et le radeau n’a-t-il pas filé tandis que vous restiez en arrière dans le brouillard ?

— Quel brouillard ?

— Eh ! ce brouillard du diable qui a duré toute la nuit. N’avez-vous pas crié : « Ohé, Jim, ohé ! », et ne vous ai-je pas répondu ? N’ai-je pas manqué de me noyer vingt fois au milieu de ces îles ?

— Je n’y suis plus, Jim. Où vois-tu du brouillard ? Où vois-tu des îles ? Je suis resté ici à causer avec toi, tu as fini par t’endormir et j’en ai fait autant. Tu as rêvé. Nous causions encore il y a dix minutes.

— Je n’ai pas pu rêver tout ça en dix minutes.

— Mais si, puisque rien de tout ça n’est arrivé.