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XI
perdus dans le brouillard.


Jim pensait que trois ou quatre nuits de plus nous amèneraient au Caire, à l’embouchure de l’Ohio. C’est là que nous avions hâte d’arriver afin de vendre le radeau et de prendre passage sur un vapeur pour remonter jusqu’aux États libres.

La seconde nuit, notre voyage fut interrompu par un brouillard qui n’était pas encore assez épais pour nous empêcher de distinguer la côte, mais au milieu duquel il serait peut-être bientôt dangereux de poursuivre notre route. Je filai donc à bord du canot avec une amarre que j’enroulai autour d’un arbre. Par malheur le courant était fort ; le radeau fut entraîné avec tant de violence qu’il arracha l’arbre et le voilà parti, emportant Jim.

Je sautai dans la barque et je donnai un bon coup d’aviron. Elle ne bougea pas ; j’avais oublié qu’elle était attachée à un autre arbre. Au lieu de perdre du temps en retournant à terre, je coupai la corde qui la retenait, je saisis les rames et me mis à la poursuite du radeau. Cela marcha fort bien tant que j’entrevis la rive ; mais elle ne tarda pas à se perdre dans le brouillard.

— À quoi bon me fatiguer ? me dis-je. Ne vaut-il pas mieux suivre le courant ? De cette façon, je serais à peu près certain de prendre le même chemin que Jim.

Toutefois on ne reste pas volontiers les bras croisés dans un pareil moment. Je fis un porte-voix de mes mains, je lançai un cri d’appel et j’écoutai. Une sorte d’écho m’arriva de loin. Le courage me revint et j’empoignai de nouveau les avirons. On me répondit à diverses reprises, tantôt à droite, tantôt à gauche, sans que le bruit se rappro-