Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nicolas. — Non ! Ce n’est pas moi qui administre. Ce n’est pas moi qui surveille la forêt. J’ai un régisseur, j’ai des gardes.

Stepa. — Je ne comprends pas.

Nicolas. — Je n’essayerai pas de te faire comprendre. Suppose qu’un homme ne soit pas honteux d’en avoir battu un autre. Tu ne pourras pas lui prouver qu’il devrait ressentir de la honte.

Stepa. — Personne ne bat. Personne n’a été battu.

Nicolas. — C’est cependant la même chose. Mais les hommes ne sont pas honteux de profiter du travail d’autrui sans travailler eux-mêmes.

Stepa. — Ce que tu dis là n’est pas tout à fait d’accord avec les données modernes.

Nicolas. — Oui, oui ! Je sais qu’à l’Université, tu as étudié l’économie politique. C’est une belle science. Elle sert à justifier l’injustice dans laquelle nous vivons. D’ailleurs, ce qui m’importe, c’est la situation du paysan qu’on a condamné. Si j’étais à sa place, j’aurais agi comme lui et j’aurais été au désespoir d’être mis en prison. Aussi je fais ce que je peux pour lui éviter une condamnation. Il faut agir envers les autres comme nous voudrions qu’on agît envers nous.

Stepa. — S’il en est ainsi, il est impossible de posséder quelque chose.

Alina, en même temps que Stepa. — Alors il vaut mieux voler que travailler ?

Nicolas, souriant. — Doucement ! Doucement ! Je ne sais plus à qui répondre. En effet, mon garçon, on ne doit rien posséder.

Alina. — Mais alors, il est impossible de vivre.

Nicolas. — En effet, il ne faut pas vivre comme nous vivons.

Stepa. — C’est-à-dire qu’il faut mourir. C’est une jolie doctrine et qui encourage à vivre.

Nicolas. — C’est sans doute le seul moyen de vivre heureux. Oui ! il faut tout donner et non seule-