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LA DENT D’HERCULE PETITGRIS

être chez le policier la manifestation du triomphe, et il évoqua la dent pointue, l’effroyable dent.

« Il se paie ma tête, pensa Rouxval, et cela depuis le début. Par rosserie, il m’a laissé patauger. Car enfin il aurait pu m’avertir, et il ne l’a pas fait. Quelle brute ! »

Mais son prestige de ministre ne lui permettait pas de rester dans cette position humiliante. D’un coup, il se retourna, et, prenant l’offensive :

— Et après ? Le hasard vous a servi, voilà tout ! Vous avez probablement découvert quelque indice…

— Aucun indice, ricana Petitgris, qui ne voulait pas faire grâce à son adversaire. À quoi bon d’ailleurs ? Il suffisait d’un peu de jugeotte et d’une miette de bon sens.

Et, avec une bonhomie horripilante, il débita :

— Voyons, quoi, mossieu le Minisse, ça ne tenait pas debout, votre histoire ! Ça suait l’invraisemblance et la loufoquerie. Contradictions, lacunes, impossibilités, je vous en montrerais de toutes les couleurs ! Un scénario, déplorable ! Que la comtesse y ait mordu, soit. Mais vous, un minisse de première classe ! Voyons, est-ce qu’on jongle comme ça avec les cadavres dans la vie ! Comment ! tout est combiné pour que le Soldat Inconnu soit bien un soldat inconnu, on mobilise des gens, des fourgons, des fonctionnaires, des généraux, des maréchaux, des ministres, tout le diable et son train, et vous avez la naïveté de croire qu’un mossieu qu’a des billets de banque en poche peut s’offrir le luxe de rouler tout le monde et d’acheter une concession à perpet’ sous l’Arc de triomphe ! Vrai, j’en ai vu de raides, mais pas de ce calibre !

Rouxval se contint :

— Les preuves abondaient…

— Les preuves, c’est du chichi pour enfant. Tout de suite, moi, Petitgris, je m’suis demandé : « Du moment que le comte ne pouvait pas se payer l’Arc de triomphe, qu’est-ce qu’il a manigancé avec le