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LA DENT D’HERCULE PETITGRIS

crédit aux prédictions du sieur Petitgris et à cette annonce d’une chose qui, soi-disant, allait se produire. Mais la ténacité du personnage le maîtrisait. Et cette dent surtout, cette canine féroce, méchante, arrogante, énigmatique… Il se résigna. Retournant à sa place, il martelait, à coups rageurs, son bureau avec le bois d’un porte-plume et, de temps à autre, il observait la pendule ou bien épiait le sieur Petitgris.

Une seule fois celui-ci remua. Ce fut pour arracher d’un bloc-notes une feuille de papier, où il écrivit rapidement quelques lignes à l’aide du porte-plume même que tenait Rouxval et qu’il lui emprunta d’autorité. Cette feuille, il la plia en quatre, l’introduisit dans une enveloppe et la déposa sous un annuaire mondain qui traînait à l’extrémité du bureau. À la suite de quoi, il se rassit. Qu’est-ce que tout cela voulait dire ? Et pour quelle raison mystérieuse l’abominable canine s’obstinait-elle à ricaner ?

Trois minutes. Deux minutes. Une colère subite chassa Rouxval de son fauteuil, et le déchaîna dans son cabinet, qu’il se mit à parcourir de nouveau en bousculant des chaises et en faisant sauter les bibelots sur les meubles. Toute cette histoire était vraiment insipide. Le sieur Petitgris et sa dent diabolique le mettaient hors de lui.

— Chut, mossieu le Ministre… marmotta le policier en agitant la main. Écoutez…

— Écoutez quoi ?

— Un bruit de pas. Tenez, on frappe…

On frappait, en effet. Rouxval reconnut la manière discrète de l’huissier.

— Il n’est pas seul, affirma Petitgris.

— Qu’en savez-vous ?

— Il ne peut pas être seul, puisque la chose dont j’ai parlé va se produire et qu’elle ne peut se produire que par l’intermédiaire de quelqu’un.

— Mais, sapristi, de quelle chose est-il question ?

— De la vérité, mossieur le Ministre. Il y a des instants, quand l’heure est venue, où l’on ne peut pas