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LA DENT D’HERCULE PETITGRIS

à la lutte, et obstinée dans son attitude provocante. Deux adversaires s’affrontaient, ennemis acharnés du premier coup. Le comte et Maxime Lériot devenaient des comparses.

De telles scènes où la tension nerveuse est poussée à l’excès ne peuvent être que brèves, comme un engagement d’épée où chacun, dès le début, jette toutes ses forces. Ce qui accrut encore la violence tragique du duel, c’est qu’il se poursuivit d’abord dans le calme, et en quelque sorte, dans une immobilité presque continue. Pas d’éclat de voix. Pas de colère apparente. De simples mots, mais lourds d’émotion. De simples phrases, sans éloquence, mais qui révélaient la stupeur et l’indignation de Rouxval.

— Comment avez-vous osé ?… Comment vivez-vous avec l’idée de ce qui est ? Moi, j’aurais mieux aimé subir toutes les tortures que de faire cela pour un de mes fils… Il me semble que je lui aurais porté malheur dans la mort… Donner ainsi à son enfant une sépulture qui ne lui appartient pas ! Détourner vers lui des prières, des larmes, et toutes les pensées secrètes qui descendent sur un cercueil !… Quel crime abominable ! Vous ne sentez donc pas cela ?

Il la contemplait, toute blanche en face de lui, et reprenait d’un ton plus agressif :

— Par milliers et par milliers, il y a des mères et des épouses qui peuvent croire que leur fils ou leur mari sont là. Ces créatures, aussi meurtries que vous, madame, armées des mêmes droits, les voilà trahies, dépossédées, volées… oui, volées, et volées sournoisement, dans l’ombre.

Elle pâlissait sous l’injure et sous le mépris. Jamais, certes, elle n’avait perdu une minute à considérer son acte en lui-même, ou à le peser pour en connaître la valeur morale. Elle avait agi avec l’âpre souffrance d’une mère qui cherche à reconquérir un peu du fils qui lui fut arraché, et, pour le reste, ne se soucie de rien.

Elle murmura :