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LA DENT D’HERCULE PETITGRIS

besoin de les éclaircir et de connaître, heure par heure, ce qui se passa dans l’ombre, au cours de la mission dont vous étiez chargé ? Non, n’est-ce pas ? La sinistre aventure est inscrite pour ainsi dire sur les pages d’un livre ouvert. Nous savons que le cercueil de votre frère de lait fut d’abord transporté de Douaumont, où il reposait dans une tombe régulière, jusqu’à la tranchée où l’on vous envoyait en quête d’un combattant qui ne pût être identifié. Nous savons que vous l’y avez pris, et nous savons que c’est celui-là que vous avez amené près des autres dans la casemate de Verdun. Nous sommes d’accord, n’est-ce pas ? Et pour la suite, pour la désignation suprême parmi les huit Inconnus…

Mais Rouxval n’acheva pas. Il essuya son front couvert de sueur, et il lui fallut un certain temps pour reprendre, avec sa même intonation sourde et anxieuse :

— C’est à peine si j’ose évoquer la scène… Toute parole de doute à ce propos est un blasphème. Et cependant, n’est-ce pas une certitude plutôt qu’un doute ? Ah ! quelle chose affreuse ! Je me souviens des instructions qui furent adressées à l’un des poilus de la garde d’honneur : « Soldat, voici un bouquet de fleurs cueilli sur les champs de bataille, vous allez le déposer sur un de ces cercueils, qui sera celui du soldat que le peuple de France accompagnera jusqu’à l’Arc de triomphe… » Vous les avez entendues, ces paroles. Vous pleuriez évidemment, comme les autres, en les écoutant. Et malgré tout, par une trahison monstrueuse… Mais comment a-t-elle pu se produire, cette trahison ? Comment avez-vous réussi la duperie infâme ?… Il n’est pas possible que ce poilu désigné au hasard, vous ait vendu son concours, ni que sa main ait pu être dirigée lorsqu’elle déposa le bouquet ? Alors ?… alors ?… Répondez donc !

Jean Rouxval interrogeait, mais on eût dit qu’il avait peur d’entendre l’aveu. Son ordre n’avait pas cet accent impérieux qui force la vérité. Il s’en