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LA DENT D’HERCULE PETITGRIS

cher Président, je ferai l’impossible pour réussir… Et je réussirai… Il le faut…

Quelques mots furent encore échangés, puis Rouxval ferma le téléphone et répéta entre ses dents :

— Oui… Il le faut… Il le faut… Un pareil scandale…

Il réfléchissait aux moyens qui lui permettraient de réussir lorsqu’il eut la sensation que quelqu’un se trouvait près de lui, quelqu’un qui ne cherchait pas à se faire remarquer.

Il tourna la tête et demeura interdit. À quatre pas se dressait un individu d’assez piètre mine, ce qu’on appelle un pauvre diable, lequel pauvre diable tenait son chapeau à la main, selon l’humble attitude d’un mendiant en quête d’un petit sou.

— Que faites-vous là ? Comment êtes-vous entré ?

— Par la porte, monsieur le Ministre… Votre huissier s’occupait à parquer des gens à droite et à gauche. J’ai filé droit.

— Mais qui êtes-vous ?

L’individu baissa la tête respectueusement et se présenta :

— Hercule Petitgris… « l’espécialiste » que M. le Président du Conseil vient de vous annoncer, monsieur le Ministre…

— Ah ! vous avez écouté ?… dit Rouxval, avec humeur.

— Qu’auriez-vous fait à ma place, monsieur le Ministre ?

C’était un être malingre et pitoyable, dont toute la figure triste, dont les cheveux, la moustache, le nez, les joues maigres, les coins de bouche tombaient mélancoliquement. Ses bras descendaient avec lassitude le long d’un pardessus verdâtre qui semblait ne pas lui tenir aux épaules. Il s’exprimait d’une voix désolée, non sans recherche, mais en déformant parfois certaines syllabes, à la manière des gens du peuple. Il prononçait : « Mossieu le Minisse… vot’ huissier. »