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Bref, peu d’hommes auront rimé autant, et sur plus de riens. Au fur et à mesure que les vanités s’entassaient dans mes tiroirs, les rectifications que la vie apportait à l’esprit malheureux qui les inspirait, la haute idée que je me reformais de la poésie, la rencontre de Mistral, de Moréas, d’Anatole France, celle de La Tailhède et de Le Goffic, habités de vraies muses, mes lectures et récitations des Anciens et des maîtres français, Villon, Ronsard, Malherbe, La Fontaine, la réflexion et enfin l’âge faisaient une justice non partielle mais totale de ces pitoyables échos. Je m’adonnais avec passion à la critique littéraire. En exerçant sur moi les premières rigueurs, j’obtenais une singulière liberté d’esprit pour aller jusqu’au bout de mes opinions sur autrui. Il n’est jamais mauvais que le juge saisi sache d’expérience le mécanisme du péché et montre aux délinquants comment ils s’y sont pris.

Mais je ne puis m’empêcher de me demander par quel mirage tant d’écrivains secondaires, de la deuxième moitié du xixe siècle, auront pu exercer une action si vive sur notre jeunesse ! Comment d’aimables poètes mineurs ont-ils laissé en nous cette longue et durable trajectoire chantante ! Sans doute, un trait leur est commun : une mise en œuvre, une exploitation réglée de tout ce qu’ils avaient de particulier et de personnel. Ces messieurs songeaient moins à réaliser leur pensée avec justesse, harmonie, convenance, qu’à graver leur chiffre. D’autres maîtres et pères avaient fait bon et beau ? Ces messieurs faisaient surtout « leur ». Ainsi le voulait la routine romantique. De ces ouvrages destinés à les faire reconnaître d’entre tous les autres, le premier effet devait être de défier la contrefaçon, puis de susciter d’utiles contrefacteurs. Mais les auteurs de ce calcul n’avaient pas réfléchi qu’ils étaient nombreux, qu’ils avaient suivi les mêmes cours et que les différences, de l’un à l’autre, étaient minces. Ils étaient condamnés à donner naissance à des composés où