Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/377

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— C’est-i toi ? C’est-i l’heure ?

La menotte retomba comme si elle avait touché du feu. En deux ou trois bonds de biche, l’esprit un peu bouleversé, obéissant à la logique impulsion des enfants que trouble un fait anormal, elle advola vers sa mère.

Celle-ci était toujours dans la grande salle et, par heureux cas fortuit, assez loin de l’hôte, avec lequel Bourdel dégustait un pot de maître cidre, levant son verre, non sans un peu d’orgueil normand, vers le reste du jour pour mieux faire briller les claires topazes.

L’ânier ne prêta aucune attention à la rentrée de la fillette qui se jeta éperdument au giron maternel. À cette ardente accolade, Denise sentit le trouble de l’enfant. Elle la pénétra toute de ses prunelles interrogatrices.

— Maman, murmura Denisette à son oreille, le sucre qui parle !

Oh ! le frisson de mort qui secoua la jeune femme ! Oh ! son pauvre cœur crispé ! Et le vacarme des cloches dans ses tempes. Sans qu’elle en sût le plan, l’existence d’un horrible complot lui fut révélée. Sentant tout le péril d’un mot imprudent, elle ouvrit son caraco, y enfouit la chère tête blonde comme pour le sommeil accoutumé, pressant contre ses seins tièdes la petite bouchette, et assurant ainsi son silence par une obstruction matérielle. En même temps elle sortit, disant à la tablée en forme d’excuse :

— Le bonhomme au sable qui passe !

Dehors l’enfant répéta sa phrase naïve et terrifiante.

— Oui, mère, le sucre qui parle ! J’ai voulu soulever le couvercle, et une voix m’a dit comme ça : « C’est-i-toi ? C’est-i l’heure ? »

Allant au plus pressé, Denise cacha sa fille dans un tilbury à cul sous un pommier, lui recommanda, sans trop l’effrayer, de ne pas bouger quoi qu’il advînt, et de l’espérer un petit moment. Elle prit dans la voi-