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auberges à la ronde. I m’a demandé de li montrer le chemin de chez vous, pa’ce qu’on y avait dit que vos avez de la place pou’li et ses bêtes, et pis que vos êtes serviable au monde. J’y ai montré la route. Et v’là. Ça se peut-i ?

— Moyennant salaire, comme de juste, précisa l’étranger.

Mais au mot d’argent, Bourdel fit la moue, et les broussailles de ses sourcils au-dessus de son nez camus se massèrent en petits plis. L’homme corrigea, voyant qu’il avait été trop brutal.

— Soit dit sans offense, monsieur. Je pense bien que vous êtes indifférent à un gain de ce genre. Mais, voyez-vous, j’ai six ânes et des ânes de prix. Ils ont fait, avec une charge lourde, une étape longue. Je ne veux pas qu’ils couchent à la belle étoile, eux et ma marchandise, qui craint l’humidité ! J’en ai pour deux cents pistoles. C’est du sucre…

— Du sucre ? interrompit Denise. Et c’est pour vendre demain ?

— Sans doute, madame. Il est très bon, et je me permettrai de vous en offrir pour vos gelées de groseille.

— Oh ! je vous en prendrais trop de livres, répondit-elle en riant.

— Et où est votre attelage ? demanda maître Bourdel radouci.

— À la porte. Voulez-vous le voir ? On alla jusqu’au seuil. On admira les ânes robustes, une clochette au col, avec, chacun, deux énormes paniers en équilibre sur l’échine. Le marchand les parcourut lui aussi d’un coup d’œil comme pour faire un choix. Il en élut un noiraud aux pattes roussâtres. Il défit le couvercle soigneusement ficelé d’un des paniers. De gros cailloux luisaient avec leurs cassures de marbre blanc. On goûta. Denise et la maîtresse Bourdel opinèrent :

— C’est de la belle marchandise.

Les longues oreilles de bure saluaient le groupe de leurs nutations approbatrices.