Qu’as-tu fait de la main coupée ? Je jure par le ventre qui m’a mis bas que si tu ne la recolles ici sur l’heure, avec les artères vivantes et les doigts agiles, tu meurs !
Et le manchot, de ses dents furieuses déchirant la peau du gant, brandissait le moignon sur la tête de la jeune femme effondrée, les yeux dilatés par l’horreur.
— Lui, lui ! C’est lui !
— Oui, c’est moi
— Grâce, râla-t-elle.
— Et à moi, m’as-tu fait grâce ?
— Mais je ne vous connaissais pas. Mais je n’étais pas votre femme. Mais tu me voulais la mort. Grâce ! je n’ai fait alors que me défendre.
— Et moi, je me venge.
— Ah ! pitié ! pitié ! au nom de ce corps que je t’ai donné vierge et que tu m’as dit tant aimer.
— Ton corps ? je le maudis. Maudite ta beauté qui m’eût voulu faire traître à mon serment. Tiens, hier encore, sous les falaises, mes associés me reprochaient rudement cette lune de miel où je me suis acagnardé pour tes beaux yeux. « Le Rouge », que tu vas voir tout à l’heure, me criait dans la barbe avec mépris :
« — Tu nous goures, tu nous achètes ; voilà un mois que ça dure. Voyez-vous ce loup qui a couvert une agnelle ! Est-ce qu’il veut attendre qu’elle ait vêlé un louveteau ? Et, pendant ce temps-là, le grand trimard chaume. »
— Quittez vos amis, Jean ! Et je vous pardonnerai. N’avons-nous pas une boutique pour vivre ? Mon père nous donnera ce qu’il faut. Quittez ces brigands.
— Ces brigands ? Quelle façon déplorable pour désigner d’honnêtes négociants de grande route. Mais ils ne me quitteraient pas, eux ! Assez longtemps ils ont entretenu ma fainéantise et ma vengeance. Crois-tu qu’elle n’ait rien coûté à tous, la boutique ? Madame s’estime une grosse mercière, et veut faire souche de bonnetiers. Par malheur, belle dame, depuis notre