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Machinalement — (besoin de protection implorée ? — don d’elle consenti ?) — elle pressait plus fort son maître contre le double bouclier de sa blanche poitrine.

L’assassin des bois, celui qui l’avait assaillie pour la mort et qu’elle avait puni par le sabre, si elle avait su que tel était à cette heure son maître ! Et non par une des surprises dont il était coutumier, mais de par la loi, ordinaire ennemie, cette fois complice !…

L’homme éperonnait la jument, ajoutant la volupté de la vitesse à l’exaltation de ses sens, à l’ivresse de son cerveau. Seul, il savait ! Seul, il avait écrit le Destin, tel Dieu. Mais l’heure n’était pas encore venue d’y faire lire sa victime. Il gardait le masque. Elle était sienne, celle dont il avait flairé le sommeil. Il avait bien le droit, sans trahir la cause si patiemment servie, sans déranger sa revanche immuable, de posséder avec plénitude cette jeune vierge dont le corps se scellait au sien ! Le vent, parfois, dérangeait sous le bonnet de sa femme des boucles odorantes qui flagellaient les tempes du marié, allumant ses fièvres.

Bientôt, la Route-Neuve inclina ses talus abrupts, tout dorés le jour des touffes de pommereules. Du fleuve plus rapproché monta un grand souffle frais avec l’immense bruissement doux des vagues. Les sabots de la jument grise firent sonner les échos de la place de la Marine, puis du quai. Encore quelques foulées. C’est là.

Un mois plus tard, sous couleur de céder aux prières de Denise, désireuse de connaître son beau-père (que le grand âge, disait Tricq, retenait perclus à Rouen), l’ex-mercelot emmenait sa jeune femme en voyage. Ils se rendraient de pied à Aizier et s’y embarqueraient pour Rouen, grâce à une « occasion d’eau ». Ils se mirent en route de bon matin et, Trouville-la-Haulle dépassé, s’engagèrent dans la forêt que l’ultime méandre du fleuve ceinture. C’est la forêt de Bro-