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pas mieux dire !… Alors, c’est tout ce que vous trouvez à répondre ?… Peut-être bien que monsieur me méprise parce que je suis un ouvrier ?

Il était en train de renouer sa cravate. L’idée qu’un bourgeois pouvait le mépriser l’irrita, et il reprit, avec une brusque colère :

— Non, mais des fois !… Si c’était ça, mon vieux, faudrait le dire !… Tu trouverais à qui causer, tu sais ?… Si tu crois que tu m’impressionnes, à me regarder avec des yeux de merlan ?… Je me fous un peu de toi… vieux débris !

À ce mot, M. Charibot eut un haut-le-corps, comme le boxeur déjà presque knocked-out, qui reçoit un dernier direct dans le creux de l’estomac, et il s’appuya contre le mur, de tout son corps. Le jeune épicier passa devant lui avec un rictus dédaigneux, et, avant de sortir, se retourna pour un suprême conseil :

— Et puis t’avise pas de toucher à madame, hein ! ou c’est à moi que tu auras à faire !…

Il sortit sur cette menace, en claquant la porte. Alors, M. Charibot entra dans la chambre, la traversa en s’accrochant à tous les meubles, vint s’effondrer dans un fauteuil, et, la tête entre les mains, se prit à sangloter.

Il sanglotait avec une telle violence, et il était à tel point anéanti de douleur, qu’il n’entendit pas le bruit léger des deux pieds de Mathilde qui se posaient sur le sol. Perplexe, irritée de sa maladresse, toute brûlante de haine contre son amant, et prête à pleurer, elle aussi, sur les ruines de tous ses calculs, elle se mit à s’habiller lentement, en poussant, par intervalles, de vastes soupirs auxquels Charibot ne prenait pas garde. Mais il tressaillit fortement, et leva une face hagarde, lorsqu’il reconnut sa voix. Blême, les épaules secouées de hoquets, et de lourdes larmes accrochées dans les poils de sa barbe, il la considérait stupidement. Elle était devant lui, humble, le front bas, dans une attitude d’abandon et de détresse, si différente de cette femme roucoulante qui tout à