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mariage, considérant qu’il l’eût profanée s’il eût songé seulement à un amour illégitime ; mais, quand cette idée se présentait à lui, il prenait aussitôt conscience de son âge et de son peu de charmes. Il se disait :

— Qui suis-je, pour posséder un tel bonheur ?… De quel droit enchaînerais-je sa jeunesse ?… Si j’osais lui en parler, elle me quitterait, révoltée d’un tel cynisme !… C’est un rêve trop beau… Le destin ne peut pas tout me donner !

Et, dévoré des désirs que multipliaient en lui les flammes de l’été, il se croyait condamné à ne pouvoir les assouvir jamais.


V


Quelques jours seulement les séparaient de leur départ pour Port-Manech. Ce voyage, ce séjour, c’était maintenant le sujet continuel de leurs conversations. M. Charibot avait retenu deux chambres contiguës, pour lui et pour « sa nièce », à l’hôtel de la Mer, qui développe ses bâtiments trapus et cubiques, semblables à de moroses constructions militaires, au sommet d’une falaise grise comme eux. Il décrivait le pays à Mathilde : les chemins creux enfouis entre deux murailles vertes, les champs de sarrazin fleuri, les hameaux de granit bleu entourés d’une enceinte de pierre, avec leurs maisons à deux cheminées sur les rives d’un fleuve de purin. Elle riait.

— Faut-il qu’il y ait des gens sales, tout de même ! Alors, comment va-t-on d’une bicoque à l’autre ?

— On marche sur des bottes d’ajoncs séchés, jetées le long des murs. C’est un sol qui, à chaque pas, enfonce dans le fumier liquide, en faisant flouc !… flouc !…

— Quelle horreur !

— Bien mieux… Dans certaines de ces masures, il n’y a qu’une pièce ; la vache, si l’on a une vache, y