Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

j’avais conscience de ne pas avoir tort. Il naissait cependant des vers charmants autour de moi ; ceux de René et d’un autre de nos amis, très remarquablement doué, qui devint par la suite fonctionnaire de la République. Namouna et Rolla en faisaient les frais. Mais nous vîmes un jour venir à notre cercle de rhétoriciens et de philosophes un jeune humaniste chargé de quelques strophes de langueur et de morbidesse qui nous dépaysèrent : cet enfant de quinze ans, que nous appelions Walter Hard, était le futur docteur de Keating Hard qui, ayant relevé le nom d’aïeux irlandais et mauriciens, les honora par les très beaux travaux sur la guérison du cancer qui devaient lui coûter la vie.

Sous le souffle léger d’un éventail de plume…

Le futur carabin avait cédé à des rêveries de créole. Notre académie clandestine applaudit beaucoup à ces stances. J’écoutais, j’admirais sans sortir de ma prose jusqu’au jour où l’esprit de contradiction me dit : Va.

La classe de rhétorique nous était faite par le plus grand original du diocèse. M. l’abbé Barraillier unissait toutes les élégances de la pensée et du goût. Il était l’éloquence et la science même, il était aussi le scrupule. Clerc depuis quarante ans, il s’était dérobé à la réception des ordres majeurs et allait se cacher quand on voulait les lui conférer. Opposé à toutes les innovations sans raison, il portait la soutane à l’ancienne mode, ornée d’une ample queue retroussée avec grâce ; sans prendre garde aux sourires des grands élèves, aux niches des petits, il se dévouait corps et âme aux deux devoirs contradictoires de nous chauffer à blanc pour les épreuves universitaires et de pourvoir à l’intérêt supérieur de notre éducation. Pour le succès de l’examen il avait un assortiment de recettes, il avait les plus beaux con-