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repas, à la caissière et au garçon du café où il n’allait plus faire sa manille, il avait annoncé, d’un ton faussement naturel, avec un frémissement de la voix et un éblouissement du regard :

— Ma vie se transforme. J’ai offert l’hospitalité à une jeune femme… une parente de province… Oh ! une parente très éloignée !… C’est une créature exquise… Elle a tout pour elle… Non seulement la beauté qu’on voit… mais aussi une telle délicatesse de sentiments, une telle fraîcheur, une telle simplicité… Je suis heureux… Je ne puis cacher que je suis très heureux !

Ce bonheur insolent avait aussitôt suscité, sans qu’il s’en doutât, la haine de tout le quartier. Les fournisseurs conservaient une attitude correcte ; ils épiaient, à travers les glaces de leur devanture, ce couple indifférent qui prétendait vivre à l’écart, et ils ricanaient en haussant les épaules. Mme Diamant était ouvertement hostile. Dès qu’elle les apercevait sous la voûte, elle rentrait dans la loge en en claquant la porte à tour de bras. Elle ne pouvait pardonner à M. Charibot de ne l’avoir pas prise pour confidente. Aux domestiques qui s’arrêtaient chez elle, le panier au coude, en revenant du marché, elle proclamait son mépris et son indignation.

— Pensez-vous !… Un homme de cet âge !… Un homme sérieux !… Parole d’honneur, je l’estimais. Je me pensais parfois : si jamais Diamant casserait sa pipe, ou si je pourrais divorcer, je referais ma vie avec ce vieux-là !… C’est doux, c’est propre, c’est inoffensif !… Il ne doit pas lui falloir grand chose pour être heureux !… Et puis, croyez-vous, ma chère ? Une nuit, ça vous ramasse une femme, Dieu sait où, ça la ramène dans une maison bourgeoise, ça l’entretient comme une cocotte de la haute, et ça ose vous parler d’une parente de province !… Elle est jolie, la famille de province !… Un vieux comme ça, vous parlez d’un vice !… Parole d’honneur, j’aime encore mieux Diamant… Si seulement il n’aurait pas tant