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comme de juste. Et quand vous voudrez que je parte, je partirai… Je resterai votre bien reconnaissante pour l’accueil de ce soir… Voilà.

— Pour des mots comme ceux-là, dit M. Charibot à voix basse, je vous donnerais mon cœur… si je ne sentais pas que je vous l’ai déjà donné !

Ils demeurèrent face à face, silencieux, ne sachant plus que dire.

— Je vais faire du chocolat ! proposa Anthelme. J’ai une boîte de biscuits. Ce sera bon, cette dînette à deux !

— Je vous aide… déclara la jeune femme. Vous allez voir cette cuisine qu’on va fricoter !

Cuisine exquise !… En allumant le gaz, en cassant le chocolat dans la casserole, tandis que Mathilde, tout à fait maîtresse de maison, essuyait deux tasses et étendait un bout de nappe sur la table, le vieux caissier se sentait une âme indomptable et fougueuse ; tous ses rêves se réalisaient, avec une espèce de splendeur irréelle ; il avait suffi de quelques instants, et son destin avait changé de face. Comment avait-il pu vivre dans ce logis solitaire ? Comment avait-il pu ignorer jusqu’alors l’ivresse de cette simple présence, de cette jeunesse à ses côtés, de ces espoirs candides comme l’aube des clairs matins ?… Ah ! la grâce de ce rire insouciant, l’allégresse de ces dents blanches qui croquaient des biscuits avec un petit bruit adorable, ce bonheur presque religieux de sauver une enfant torturée par la vie au point d’avoir désiré la mort, et qui maintenant renaissait, insouciante, oublieuse, confiante en lui !…

La pendule d’albâtre lâcha tout à coup une note sonore, qui tomba dans la nuit.

— Une heure !… balbutia Charibot, effaré.

— Déjà une heure ! répéta la jeune femme.

Ils se levèrent lentement, lui, saisi d’une angoisse poignante, et elle, résolue à combattre et à jouer son rôle pour assurer l’avenir. Sans parler, ils repassèrent dans le bureau.