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fraîche odeur de jeunes feuilles et d’herbe nouvelle. Sur la grande voie lisse, miroitante aux lueurs éparses de la terre et du ciel, les automobiles glissaient vertigineusement, crevant parfois l’ombre du double éclair de leurs phares. Pendant une seconde, dans cette clarté fulgurante, les arbres se découpaient, gris comme des silhouettes de zinc ; puis, brusquement, la nuit les effaçait.

M. Charibot cheminait à pas lents à travers les massifs. La canne à la main, un peu rassuré par le poids du revolver logé dans sa poche, il marchait, le cœur battant d’angoisse, de volupté, de désirs inassouvis. Quand il passait près d’un couple d’amants, masse confuse et chuchotante au pied d’un chêne ou d’un ormeau, il accélérait son allure et feignait de ne rien voir. Il lui eût été amer d’être pris, par ces nocturnes amoureux, pour un de ces malades qui cherchent le spectacle des plaisirs qu’ils ne savent ou ne peuvent goûter. Charibot était pur. Il ne regardait pas. Il venait, en poète, imprégner son âme de la fragilité renaissante des nuits printanières ; il goûtait une joie délicate à rêver d’amour dans ces fourrés, où l’amour vivait et palpitait près de lui : il savait bien qu’il ne poursuivait pas une satisfaction malsaine !…

Parfois, comme si le tronc d’un arbre se fût dédoublé, une sombre silhouette s’en détachait tout à coup et s’approchait de lui. Une voix féminine murmurait :

— Viens avec moi, mon chéri !…

Un peignoir s’entr’ouvrait ; la forme d’un corps nu éclairait les ténèbres et bouleversait l’âme de M. Charibot. Il fuyait, saisi d’une émotion brûlante qui faisait vaciller ses jambes et s’entre-choquer ses genoux. Souvent, la femme insistait, connaissant, par une longue expérience, la timidité de ces promeneurs auxquels il faut imposer la joie qu’ils attendent.

— Viens donc, beau blond !… N’aie pas peur !… Il n’y a pas de danger…