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les blessures, dont une âme noble, et qui ne pactise pas, se voit atteinte à tous les détours de la vie. Mais ces poèmes se terminent par un hymne réconfortant, en un cri éperdu de foi ardente, en un élan d’amour vers la Divinité !… »

Cependant, l’inspiration demeurait rebelle. Une élève du Conservatoire, qui habitait au quatrième étage, charriait tout le long de sa piste d’ivoire une pleine cargaison de gammes, qui montaient, descendaient, remontaient, redescendaient, à croire que la machine était en marche pour l’éternité. Les sourcils froncés, M. Charibot se grattait le conduit auditif avec le bout de son porte-plume. Plus il grattait, plus la démangeaison devenait aiguë, et la vibration du porte-plume faisait osciller et s’écrouler les gammes à l’intérieur de son crâne. Le supplice était intolérable. Il n’arrivait pas à fixer sa pensée. Tout à coup, il songea que la jeune inconnue du boulevard Saint-Germain lirait ses vers, et, voyant son portrait à toutes les vitrines, reconnaîtrait le passant qui l’avait renseignée.

— Elle m’écrira !… Elle viendra me voir !… Elle me dira : « Je savais bien que ce n’était pas le hasard !… Je savais bien aussi que je vous retrouverais un jour ! Tous les bonheurs dont vous avez été privé, je vous les apporte… Voici mes mains… Voici mon cœur ! »

Charibot jeta son porte-plume sur l’encrier, ferma son cahier, et se leva. Inutile de s’obstiner : on ne fait rien de bon quand l’inspiration se refuse !…

Et il s’en fut dîner.


II


C’était un beau soir de mai, tendre, vibrant, tout chancelant de mollesse et de complicité. Sous les arbres, dans la région du Bois que traverse l’avenue des Acacias, la nuit se recueillait, baignée d’une