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L’Amour et M. Charibot[1]

Nouvelle inédite
par
Auguste Bailly


I


À six heures moins dix, ses comptes balancés, sa caisse vérifiée, ses tiroirs rangés, son coffre-fort hermétiquement défendu par la combinaison secrète de cinq lettres et de cinq chiffres, M. Charibot déposa sur un rayon ses deux manches de lustrine noire, sortit de la cage vitrée et grillagée qu’il était venu occuper à deux heures, et en referma la porte, que seules pouvaient ouvrir sa clef et celle du directeur. Le chapeau à la main, il traversa le hall, salué d’un sourire par les employés qui replaçaient dans les casiers les livres bousculés tout le jour.

— Vous partez, monsieur Charibot ?

C’était Claustre, titulaire de la petite caisse, qui l’interpellait.

— Je pars, oui. Ma journée est finie.

— Heureux homme !… La mienne le sera bientôt.

Ces dix minutes qu’il gagnait sur les autres employés, c’était la fierté de M. Charibot, le témoignage de son indépendance, la marque visible de l’estime où le tenaient ses chefs. Cela, et le ruban

  1. Copyright by Auguste Bailly, 1924. Tous droits de traduction, adaptation, reproduction et représentation réservés pour tous pays, compris la Russie.