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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

même plus l’amertume de rater, dans quelques heures, le fauteuil Titon. Petitesse des petitesses, vanité des vanités, tout est misérable devant les ondes sublimes que je ne percevrai plus. Elles réveillent à la fois les autres harmonies de mon cœur, le rire de Ninette et le sanglot de sa Vestale. Elles évoquent des sons de cloches éparpillés là-bas, par-dessus les frondaisons du vieux cimetière de village où repose ma lignée.

Et c’est d’une douceur et d’une tristesse infinies !

Mais un silence. On donne l’absoute. L’encens m’entoure de ses volutes opales. Requiescat in pace…

Des piétinements, des cahots encore. Le voyage recommence.

Où vais-je ? Vers quel champ ?… M’aura-t-on accordé le voisinage des poètes, là où la gloire consacre le pauvre Lélian, le délicieux Banville ?

Oui, vraisemblablement, on me traîne à Montparnasse. Un sens nouveau de la topographie m’en convainc. Mon convoi suit des rues, un boulevard. Il avance d’une façon ininterrompue et assez rondement.

Les gens saluent. Les femmes se signent. Le mort tient la rue. Tornada m’avait toujours promis de me faire obtenir un coupe-file : il m’exauce, un peu tard.

Un sifflet de locomotive. La gare Montparnasse, j’approche du lieu souhaité. On tourne à angle droit, sur un sol pavé. J’entre dans la nécropole de Lélian, de Banville.

On stoppe. On débarrasse le corbillard. Je suis déposé doucement, horizontalement, au bord de l’amas d’humus, qui va se refermer sur moi. Ma vallée de Josaphat… Ah ! qu’on se presse donc, puisque aléa jacta est !

Enfin ! le dernier geste des hommes, maladroit, c’était à prévoir. Ces brutes me descendent encore une fois la tête la première…

Un bruit de locomotive ?… Non : c’est Lucienne qui