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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

CHAPITRE VIX

Je n’avais assisté qu’une fois à une condamnation à mort. Ces sortes de spectacles ne conviennent guère à mes nerfs. Je suis, par tempérament, hostile aux laideurs étalées devant un tribunal. Je crains de participer, si peu que ce soit, du fait de ma présence, à une erreur judiciaire. Les passions exposées au court d’une cause célèbre, non seulement par le criminel, mais aussi par ceux qui ont mission de l’accuser ou de le défendre, me révoltent. Mais j’écrivais alors un drame ; il me fallait enregistrer l’apparat Judiciaire ; je pensais même récolter, dans les répliques des uns et des autres, des impressions utiles à mon œuvre.

J’avais donc obtenu d’un mien ami, puissant au Palais, la faveur d’une place réservée. Eh bien ! quand le verdict fut prononcé, je vis le condamné recevoir comme un coup de massue, pâlir et perdre connaissance. Mais il se ranima bientôt, les yeux brillants d’espoir, se raccrochant au recours en grâce que lui faisait miroiter son avocat. En définitive, si la clémence du chef de l’État ne le touchait pas, il ne l’apprendrait que longtemps après, aux derniers préparatifs, et toute sa détresse tiendrait en une heure, adoucie par les consolations d’un prêtre, gorgée de rhum, et lui laissant même, en certains cas, le soulagement de cracher sur la société.

Tandis que moi !… Moi, c’était la mort sans phrases, sans alcool, sans bravades. La fin la plus terrifiante ! la fin d’un homme qui garde toute sa pensée, suit ses propres funérailles, s’entend tomber dans le trou et s’enfonce dans l’au-delà, après je ne sais quelle effroyable agonie !