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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

j’inondais le monde d’une lumière posthume !… et l’histoire dira que le néo-Christ ce n’était pas moi !…

Il souffrait visiblement, dans sa manie restauratrice, dans son orgueil supplanté. À l’allure vertigineuse de ses idées, j’aurais pu m’attendre à plus de déraison. Je crus qu’il allait y succomber. Mais il se redressa soudain :

— Je cours à la police. À cet après-midi. La doctrine de Tornada me fit réfléchir, après son départ. Elle perçait sous l’originalité fantasque de son auteur. Elle montait quand même vers l’idéal. Ce savant voulait le bonheur de ses semblables. Mais il le voulait par la destruction des illusions. Conception radicalement opposée à la mienne. J’étais pénétré de cette idée, que le bonheur n’est fait que de mirage. Lui, le voulait dans la sèche vérité. Je n’y pouvais souscrire, malgré la philosophie, née de la rancœur, avec laquelle j’acceptais la trahison de Lucienne.

Mais j’eus peine à continuer mes réflexions. Mon cerveau se fatiguait, me parut-il. Je me sentais plus apte à enregistrer les phénomènes extérieurs qu’à spéculer sur des abstractions. Était-ce que l’effet du 222 s’atténuait ? Une piqûre, m’avait dit Tornada. entretient une semaine. Comptant me ranimer le surlendemain, avait-il restreint la dose ? Ou bien mes émotions avaient-elles été si intenses, ces deux jours, que j’avais dépensé trop de sa provision de vie latente ?…

Je ne pus forger quatre vers, épitaphe de mes amours défuntes. Je cherchais une rime à Lucienne et n’en trouvais que de condamnables. Impuissant, je me résolus à faire, si l’on peut dire, la grasse matinée. La chaleur tournait à l’orage, mais mon être au ralenti n’en souffrait pas. Ne m’incommoda qu’une mouche, qui s’en vint broutailler avec insistance sur mon nez. Puer, abige muscas, me remémorai-je. Mais personne n’était là pour la chasser.

Pardon, quelqu’un était là, qui me débarrassait