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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

Il eût continué encore longtemps cette semi-divagation, si ses hôtesses n’étaient survenues. Comme il ne leur avait pas caché sa bonne fortune, elles s’étonnèrent de le trouver encore là.

— J’avais oublié une pieuse offrande… s’excusa t-il.

Il fila dans l’antichambre et revint porteur d’une monumentale couronne d’immortelles jaunes, qu’il déposa au pied du mur, exactement sous le portrait de Lucienne.

— Ce sera pour mettre sur le catafalque, demain, gémit-il.

Et à ma femme qui oubliait de le remercier :

— Vous comprenez pourquoi j’ai choisi des immortelles. J’en ai vainement cherché d’une autre nuance ; mais je n’ai pas trouvé le vert sombre du lierre, qui symbolise votre amour pour ce brave.

— J’avais pour lui plus que de l’amour, docteur.

— Tiens ?…

Elle prit son ton de conservatoire :

— De l’affection, docteur, c’est plus durable. Aussi ferais-je comme le lierre !

— Qui meurt là où il s’attache ?… Ne faites donc pas de sottises !… Patientez encore une dizaine de lustres… de ces lustres qui illuminent la vie d’une jolie femme !… Et ménagez-vous, en attendant. Qui va le veiller cette nuit ?

— Moi.

— Mais je vous le défends bien !

— Jusqu’à minuit seulement, docteur, je vous en supplie !… Mlle Robin me succédera.

— Ah ! c’est elle ?… c’est elle qui vous succédera ?… Parfait, alors !… parfait !

Du bruit se produisit du côté du salon. Le visage de Lucienne exprima de l’appréhension. Elle redoutait que ceux qu’elle avait convoqués pour sauver le mobilier ne se présentassent avant l’heure. Mais la fidèle Anna la vint rassurer, en annonçant :

— M. et Mme Tardurand.