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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

cynisme ne s’étala. Nulle part une telle splendeur d’âmes. Il est vrai qu’ils sont, les uns dans la laideur, les autres dans la beauté, des êtres d’exception.

Je rangeais Tornada dans un clan à part, qui dépassait la compréhension, quand il se représenta. Il avait changé de face. Il traversait une de ces périodes de surexcitation où je savais qu’il gardait sa raison, mais dont ses ennemis profitaient pour en douter. Ses petits yeux d’oiseau papillotaient, des tics déplaçaient ses commissures, des vagues couraient dans sa barbe neptunienne. Quelles extravagances, quels calembours allais-je entendre !…

— Un bonsoir seulement, mon antique. Je passe. Je suis un météore. Je suis bien autre chose aussi : un gigolo !…

Il frétilla :

— Figure-toi : il m’arrive une aventure, avec une Vénus callipyge. Oui, mon antique. Je viens de faire sa connaissance à l’instant. Mon auto s’est introduite dans son taxi. En la tirant des décombres, j’ai senti des contours marmoréens. Il y a quelque chose à opérer dans ce coffre-là, me suis-je dit. En effet, elle m’a raconté un kyste… Alors, ça s’est arrangé pour cette nuit.

Il ne me cachait par ses frasques. Elles étaient toujours le prélude ou la conclusion d’une aventure chirurgicale. La possession était double chez lui. Il ne pouvait aimer que celles qu’il opérait. Du reste, fort peu hanté par l’instinct de l’espèce, il n’y sacrifiait qu’avec une fougue et une instantanéité toute napoléoniennes. Comme chez le grand stratège, son esprit était à d’autres conquêtes, à des combats contre la nature, à des redressements d’existences…

— Pour être juste, ma Callipyge a plutôt de la bouteille : dans les quarante-cinq ans, peut-être… ! Mais des abatis, mon antique, à enthousiasmer l’ancien et le nouveau continent. Pardon ! ne parlons pas de continence, cela pourrait te donner des idées. Je suis si content de toi ! Tu t’es admirablement tenu,