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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

Son portrait inondait les journaux, il discourait à tout propos, il était de toutes les représentations. Elle le salua donc du titre de « Maître » et lui dit son admiration d’ouvrages qu’elle n’avait pas lus.

Pour conclure, elle me montra :

— Et lui aussi, il avait tant de talent !…

— L’Académie le regrettera !… amplifia, avec un hochement de tête, mon meilleur thuriféraire.

Après lui — on eût dit que tous les cordons du poêle s’étaient entendus pour se suivre — après Hector Lentrain, survint Louis de Saint-Gary, le président de la Société Ésotérique, à laquelle j’étais affilié depuis mes premiers vers : un freluquet monoclé, suant la suffisance et la jalousie, aussi dénué d’idées que riche d’orgueil. Il en imposait par son dédain silencieux, la majorité des hommes s’imaginant que de hautes conceptions habitent le crâne des taciturnes. Mais il se revanchait de son mutisme en saisissant toutes les occasions solennelles de réciter des discours forgés avec la pensée d’autrui.

Il me toisa un instant, puis :

— Je parlerai sur sa tombe… accorda-t-il.

— Il avait tant de talent !… leit-motiva Mme Godsill.

— Vous me l’apprenez,

Toi, mon président, quand je me réveillerai !…

Ensuite, d’autres et d’autres : un chansonnier montmartrois, qui enregistra mon « gala » dans son œil féroce ; un directeur de théâtre, qui payait ses pensionnaires en droits du seigneur ; ensemble, deux femmes de lettres, les pauvres ! traductrices de mes œuvres à l’étranger ; l’une, fatale Espagnole, l’autre, séborrhéique Norvégienne ; puis une pédante dentiste, qui me poussait des colles d’orthographe en me massacrant la mâchoire. Et d’autres, et d’autres… La fin de la journée les hâtaient. Ils stationnaient à peine, juste le temps de recueillir l’opinion de leur introductrice sur mon talent, de renchérir parfois, de m’arroser et de filer. Ils s’en