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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

chez cet homme à la merci de considérations autrement supérieures. Ninette avait sur lui une incontestable influence de calme.

— Ainsi, microbe, tu t’esbaudis près du macchabée !… Et qui veux-tu donc marier ?

— Mamoiselle. Tu vois, j’ai mis sa belle robe.

— Ah ! c’est la petite Robin que tu défroques !… Tu ne peux donc pas la laisser à sa paix virginale… à sa paix de nonne ?… Quelle idée !… Et avec qui veux-tu la marier ?…

— Avec Pépito.

— C’est ton toréador, Pépito ?

— Oui, parrain Nada.

— Et Pépito, c’est ?…

— C’est mon papa.

— Pas besoin de Pépito, Ninette !… Tu peux bien les coucher ensemble tout de suite !… va donc !… il s’embête tout seul ton pauvre papa !… Fais-lui ce petit plaisir !… Allons ! va donc !…

Comme elle hésitait, c’est lui qui prit la poupée et l’étendit sur mon lit, à mes côtés.

Requiescant in pace… nous bénit-il.

Après quoi, mis en joie par cet hymen extravagant, il renouvela un jeu qui me terrifiait chaque fois qu’il s’y livrait. Il s’empara de l’enfant, la projeta en l’air, la rattrapa au vol, sous les aisselles, pour la relancer encore, vingt fois de suite. Qu’il manquât ce périlleux exercice, elle se cassait une patte.

— Plus haut !… plus haut !… s’égayait Ninette.

Et lui renforçait :

— C’est ça !… plus haut !… jusqu’au ciel !… comme papa !

On s’imagine, devant cette scène d’acrobatie, la stupeur du médecin de la préfecture, qui entra à ce moment pour constater mon décès. C’était un tâcheron blafard, aux yeux bordés d’inflammation derrière un lorgnon. Il semblait approprier sa tenue, redingote lugubre et petite cravate noire nouée court,