Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/264

Cette page a été validée par deux contributeurs.
258
LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

ce qui m’avait toujours un peu flatté, par un toréador rutilant, qu’elle appelait : Pépito. Pour sa barbe broussailleuse, Tornada devenait un diable sortant d’une boîte à surprise : mais un diable familier, qu’elle ne redoutait guère, qu’elle molestait même souvent. Sa belle-mère figurait sous les allures d’une froide et hostile Pierrette, au visage masqué de velours. Les domestiques possédaient aussi chacun son effigie. Seule son institutrice n’avait pas encore d’affectation dans sa galerie. Et je passais souvent des moments délicieux à l’écouter souffler une âme à ses pantins. Elle délaissait la Pierrette ; mais elle animait fréquemment Tornada-le-diable et moi-le-toréador. Elle faisait battre l’un avec l’autre, en répétant nos propos et même nos arguments au cours de nos discussions passionnées. Elle finissait toujours par nous raccommoder, à la faveur d’un festin cuisiné de ses menottes dans son ménage d’aluminium et je retrouvais encore en ce jeu nos réconciliations à table, devant le plat familial et le flacon poudreux.

Elle m’examina, comme la veille, avec une surprise inquiète :

— Core dodo, papa ?… Core fatigué ?…

Elle parlait doucement, pour ne me réveiller que si j’y étais véritablement disposé. Mais cela la dépassait que son papa se figeât aussi longtemps dans l’immobilité du toréador relégué en quelque coin de sa chambre.

Légèrement indignée, elle ne s’occupa plus que de sa poupée. Elle s’installa par terre avec elle et j’appris alors qui symbolisait la nouvelle venue.

— Viens, Mamoiselle… je vais t’habiller… si t’es bien sage, papa te donnera du bonbon… oui, Mamoiselle, du chocolat… praliné…

Praliné, elle prononçait ce mot avec une sorte de vénération. La praline, friandise qu’elle adorait par-dessus tout, fallait-il que Mamoiselle lui fût chère !… Oh ! oui, cher trésor, je t’en offrirais des sacs