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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

ment ! et je ne vois pas la femme d’Étienne Montabert déménageant à la cloche de bois !…

— La nuit, le concierge dort, fifille.

— Je peux avoir mon auto à la porte… suggéra Guy.

— Mais oui, on s’arrange. Impossible n’est pas un mot français !… s’empanacha Jojo.

Malgré les nouvelles protestations de Lucienne, retenue par la peur du gendarme, le chauvinisme de Jojo les eût peut-être décidés à mettre en sécurité mes tapisseries, si Anna n’était venue déclarer que les Pompes Funèbres venaient d’arriver.

— Filez !… filez !… leur jeta Lucienne, et ne revenez que ce soir, à huit heures. Papa, tu amèneras mes cousines, Berthe et Lise. Vous aurez votre auto à la porte, Guy. Et moi, je demanderai à Mme Godsill de m’aider… Ah ! que mes cousines prennent donc un manteau du soir…

Elle les repoussait vers la porte, mais Jojo ne démarrait pas.

— J’espère bien, fifille, que tu ne vas pas faire de folies pour son enterrement. Un homme qui te laisse sans le sou !…

— Je ne peux pas moins d’un convoi de troisième classe, papa.

— Fiche-lui le corbillard des pauvres, ce sera déjà joli !… Et sans tarder, tu sais. Par ces temps orageux, les morts…

Il se pencha sur moi, me renifla :

— Sens-moi ça : il a déjà de l’odeur !…

Le croirait-on : cet intermède, déjà bouffon, devait finir plus cocassement encore. Ils venaient à peine de me laisser, que Jojo rentra subrepticement. Il boucla les deux portes, puis se mit à se déshabiller. Délire alcoolique, m’imaginai-je… Mais pas du tout : son acte était sublimement réfléchi. Quand il n’eut plus que sa chemise et son caleçon — avec son canotier toujours sur le chef, il ne manquait pas d’allure — il choisit un fauteuil, posa dessus une chaise,