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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

il leur manquait de serrer l’effigie de Satan. Quant au beau Guy, il jouait avec ses cabochons.

Jojo déclencha :

— Tu as des bijoux ?

— Quelques-uns,… un collier de perles, des bagues, une barrette en diamants, deux pendentifs.

— Donne…

— Ah ! non, papa… je te connais !… ce serait plutôt à M. Prinjard que… et puis, comme ils proviennent, pour la plupart, de son ancienne et qu’on sait qu’ils existent, je me demande si la succession…

— Qu’est-ce qu’il t’a donné, en propre ?

— Le collier de perles, une émeraude, un saphir…

— C’est pas ton bien, ça ?

— La loi ne l’entend pas ainsi !… Mais sois tranquille : je saurai mettre de côté ce qui m’appartient… Quant à enlever autre chose… oh ! si nous habitions un hôtel… mais ce n’est pas le cas. Il faudrait donc plutôt songer aux collections.

— Aux livres anciens, indiqua Guy.

— Les tapisseries et les tapis valent un prix fou !… déclara gravement Jojo.

Tous trois levèrent la tête vers un admirable morceau de tapisserie qui décorait un panneau de ma chambre. C’était une pièce unique, du reste incomplète et plus longue que large, mais qui perpétuait depuis le xive siècle l’art incomparable des manufacturiers d’Arras, appliqués à traduire les dessins du peintre florentin Taddéo Gaddi. Je l’avais acquise récemment, à la vente de la fameuse collection Blumayer et considérais avoir fait mieux qu’une excellente affaire en ne la payant que cinquante mille francs. Elle en valait le triple. Pensaient-ils donc à me la soustraire ?… Et je frémissais d’avance, à l’idée des autres Beauvais et Gobelins inestimables qui paraient mon cabinet de travail…

Mais Lucienne me rassura :

— Des tapisseries, des tapis : à quoi penses-tu, papa !… Encore une fois, nous sommes en apparte-