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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

cru ?… tu as cru que le cerveau ?… Ah !… ah !… Mais non, mon vieux, la mort n’intervient que lorsque se produit la discontinuité nerveuse !… Et qu’est-ce que tu pensais dans ton for intérieur ?… L’as-tu assez engueulé ton vieux Tornada ?… As-tu trouvé, pour lui, quelques bonnes épithètes mal sonnantes à proposer au dictionnaire de l’Ac ?… Mais non, tu es bon, toi ; tu as dû te dire : « si je ne meurs pas, ça me fera plaisir ; si je meurs, ça fera plaisir à mes amis : en somme, il y aura toujours quelqu’un de content !… » Ça, c’est toi, en plein !… Eh bien, non, tu n’es pas mort et tu ne mourras pas. Tu n’es pas dans le lac et tu seras de l’Ac. Tu rimeras ton aventure avec : cristi, parce que l’Ac rima cristi… tu saisis ?… c’est un calembour. Penses-tu, que je me serais privé de voir mon vieil Étienne en queue de pie, brodée de vert, couleur d’espérance et de décomposition cadavérique ?… mon vieil Étienne, avec un bicorne, pour doubler celles qu’il porte déjà ?… et ceignant l’épée… une épée !… ah !… ah !… le glaive de la littérature !… penses-tu ?…

Il rit bruyamment. Je détestais, je l’ai déjà dit, ces absurdes plaisanteries sur l’illustre compagnie de qui j’allais réclamer le plus enviable fleuron de ma couronne. Mais cette fois, je les accueillis avec l’allégresse d’un mineur qui, enseveli par un coup de grisou, entend résonner la pioche libératrice.

Tornada continua en me pinçant le nez.

— N’essaie pas de répondre, Ton bec est bouclé comme le reste. Tu parleras plus tard, quand tu seras de l’Ac. Tu parleras même trop. Mais, penses-tu que j’aurais perdu mon temps, moi, le surfourbu, à te fourrer dans ton gala, pour le simple bonheur de jubiler en te contemplant ?… C’est que tu ne me connais pas, mon vieux défunt. J’avais une autre idée. Une idée épatante, comme tout ce qui se trame dans mes méninges. J’avais l’idée de t’ouvrir les yeux en te les fermant, pour que demain tu te roules à mes pieds, tu entends bien,