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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

— Vous lui avez montré son papa, hier soir ?

— Oui, docteur !

— Qu’a-t-elle dit ?

— Elle voulait le réveiller.

— Pauv’ microbe… Et sa mère ?…

— Sa mère ?…

— Sa belle-mère, veux-je dire…

— Je pense qu’elle a bien dormi aussi.

— En sorte que c’est vous qui avez passé toute la nuit ?

— Ah ! sans peine, docteur. Je perds un Maître qui a toujours été si bon pour moi !

— En quoi a-t-il été bon ?

— En me confiant Ninette.

— Vous êtes une poire, mademoiselle Robin… réfléchit Tornada. Mais sa voix s’était attendrie.

Il ajouta :

— C’est du reste un fruit succulent. Il ne faut pourtant pas que ce brave Étienne en abuse plus longtemps. J’ai besoin de me recueillir un instant auprès de lui. Allez rejoindre Ninette, qui doit s’éveiller. Annoncez-lui qu’il y a, dans mon auto, une poupée pour elle.

— Je vous remercie, docteur.

Tornada attendit qu’elle se fût éloignée, puis il renouvela sur moi un examen exactement pareil à celui qu’il avait pratiqué la veille dans son cabinet, aussitôt après ma chute. Il contrôla la persistance de ma tétanisation. Il me sema de coups d’épingles. Il défit un de mes souliers et me chatouilla la plante des pieds. Je sentais fort désagréablement ses attouchements, mais j’étais incapable de réagir. En fait j’éprouvais l’étonnement joyeux de sa curiosité. Il n’eût pas recherché des signes de vie chez un vrai mort.

En même temps, il me soufflait à travers sa barbe :

— Eh bien, mon antique, je t’ai fait une sale blague, hein ?… t’as dû t’en faire, des cheveux, depuis hier ?… Les cheveux, les ongles, tu y as peut-être