Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/241

Cette page a été validée par deux contributeurs.
235
LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

CHAPITRE VI

Des chuchotements me réveillèrent. Les vivants ont cet avantage sur les morts que l’instinct les avertit approximativement de l’heure qu’il est. Ils devinent, en tout cas, lorsqu’ils sont étendus, yeux fermés, dans une chambre close, s’il fait jour ou s’il fait nuit. À considérer que je me rendais compte d’un début de matinée, je devais donc être vivant. Mais à savoir si nous étions seulement à l’aube ou si déjà la lumière resplendissait sur notre quartier de globe, je pouvais également conclure que j’étais mort.

Ce qui me fit d’abord supposer que la nuit était achevée, c’est qu’au moment où je sortis de ma torpeur j’éprouvai ce bien-être, cet allégement cérébral qui succèdent au bon repos. Mais la conversation qui se tenait à mon chevet me démontra mieux encore que j’inaugurais la première matinée de mon décès.

— Eh bien, la nuit s’est bien passée ?… je ne parle pas pour ce pauvre bougre, je suis rassuré sur son compte ; mais vous, mon enfant ?

— J’ai prié, monsieur le professeur. Les heures sont toujours paisibles, où l’on prie.

— Et qu’avez-vous réclamé dans vos prières ?

— Qu’il soit heureux.

— Autrement dit, qu’il soit dans le royaume des cieux comme chez lui ?

— Non, pas cela.

— Quoi, alors ?

— Qu’il ne sache jamais !…

— Eh bien, moi, si je pouvais évoquer le Père Éternel, je lui demanderais juste le contraire.

— Ce ne serait pas charitable, monsieur Tornada. Il l’aime !

— Précisément… Et Ninette ?…

— J’ai été la voir plusieurs fois pendant la nuit. Cher ange, elle dormait à poings fermés.