J’écoutais, je suivais, essayant de redire, l’esprit perdu, le cœur serré. Mlle Élise poursuivit son succès : elle fit apporter le petit livre de classe qui contenait ces vers et m’en fit présent, « pour quand je saurais lire ». J’ai gardé longtemps le petit cartonnage rosâtre et je l’ai perdu à grand regret, mais le meilleur demeurait en moi pour toujours : la vue et la pensée de la jeunesse endolorie et radieuse, le doux son de la voix que soulevaient pour la briser les enthousiasmes de la pitié, le ton d’autorité que la belle maîtresse d’école adolescente ajoutait aux célestes inflexions de la poésie. Si Casimir Delavigne eut le plus grand profit de cette journée, le mien n’était pas méprisable quand, mon livre à la main, je sautai à bas de ce lit, le cœur victorieux, ployant sous la dépouille et gonflé du trésor. La bien moins partagée fut la pauvre Mlle Élise. Que n’étais-je né peintre, statuaire ou meilleur poète ! Cette beauté couchée dans la grâce abattue de sa force dolente, ouvrant les horizons d’un lyrisme nouveau au petit garçon fasciné, méritait de partir pour l’une de ces maisons du ciel des étoiles d’où les noms de mortelles ne redescendent plus : du moins, que son fantôme évanoui recueille l’hommage malhabile de ma reconnaissance, tel que je me permis de le lui adresser sans mot dire, un peu moins de quarante ans plus tard, lorsque, dans un coin d’évêché, devenue vieille, non flétrie, mais un peu tournée en dévote, elle se fit, tant bien que mal, reconnaître à de longues paupières demi baissées sur les beaux yeux qui ne cessaient pas de briller !
L’initiation aux poètes ne fut pas ralentie par le grand deuil qui coupe en deux les paysages de mon enfance. Je devais approcher de l’âge de raison quand M. le curé doyen, qui fait aujourd’hui le plus bel évêque de France, chargea M. l’abbé (on nommait ainsi nos vicaires) de nous prévenir que mon tour arrivait de réciter au maître autel l’acte de consécration des enfants de mon âge et qu’il allait falloir