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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

Elle se tut un moment, réfléchissant. Puis :

— Voilà, Maître, voilà ce que je vais faire. Je vais ouvrir vos Chants à l’aurore… je les sais en entier, mais je prendrai au hasard, dans le recueil… et là où j’aurai ouvert, j’interpréterai avec toute ma conscience d’honnête femme, comme étant votre réponse, le poème que j’aurai sous les yeux.

Puis à Ninette :

— Viens, mon amour. Il est temps que tu dormes aussi. Dis au revoir à ton papa.

Et la voix de cristal vibra, comme chaque soir :

— Bonsoir, mon papa. Gros dodo, mon papa.

Mais avant de sortir, l’institutrice pria :

— Envoie encore un baiser !

Alors j’évoquai l’émotion souveraine d’un autre baiser semblable. Je partais — c’était avant l’ensorceleuse — je partais pour une tournée de conférences en Amérique. Ninette m’avait été amenée sur le quai de la gare. Au moment où le train démarra, sa nourrice me la tendit de loin et ses menottes me transmirent l’adieu de ses lèvres. Mon gosier se serra, je dus essuyer une larme.

Sait-on jamais, quand on part…

CHAPITRE V

Sait-on jamais, quand on part ?

Je suis, pour tout le monde, parti sans possibilité de retour. Pour tout le monde, sauf pour moi. Pour tout le monde, sauf pour Tornada.

Pour Tornada ?

Voyons… Que vais-je devenir entre les mains de Tornada ? Que va-t-il faire de moi ? Quel fut son but en m’injectant son 222 ? A-t-il obéi à sa conscience de médecin, à son devoir de guérir ?… Ou bien fait-il de moi le jouet de sa science, un sujet d’expérience, ce qu’on nomme en style de laboratoire : un témoin ?…

Et voilà que se ramassent en mon cerveau quelques