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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

joignant ses menottes, pour m’offrir, comme à Jésus, son âme innocente !

— Écoute !… et regarde bien papa,… pour ne jamais l’oublier… vois comme il est beau !… comme il est calme !… comme il repose dans la paix de l’homme juste, noble et généreux !… dans la sérénité du poète !… Ma Ninette, tu seras fière d’être sa fille !… Il a écrit sur toi des choses divines !… et puis il était là ; il te protégeait, et maintenant, ma pauvre enfant, maintenant qu’il est parti, pour faire dodo au ciel… qui veillera sur toi ?… que vas-tu devenir, avec l’autre !

— Qui c’est, l’autre ?… interrompit Ninette.

— C’est elle, ta maman Lucienne.

— J’en veux pas !… elle est méchante !… c’est toi, ma maman.

— Que dis-tu !

— C’est toi, je veux !

— Tu veux que je sois ta maman ?

— Je veux !

— Tu t’en irais avec moi, s’il le fallait ?

— Oui, Mamoiselle.

— Loin ?

— Loin !… loin !… jusqu’au Ciel, pour être avec papa et toi… demande à mon papa…

Ô fille de mon imagination, déjà créatrice de rêve, d’harmonie : quel poème superbe chantaient tes lèvres pures ! Avais-je jamais écrit rien de plus lyrique que ta volonté !

Alors, la gardienne s’adressa à moi :

— Maître, l’entendez-vous ?… Que dois-je faire, Maître ?… Inspirez-moi !… Si vous lisez en moi si vous avez la clairvoyance d’outre-tombe, vous savez que je me suis depuis longtemps donnée à cet enfant, oui, du premier jour où je l’ai tenue dans mes bras !… Alors répondez-moi… répondez comme le peuvent les âmes envolées… faut-il que je laisse Ninette à cette femme ? ou bien me confiez-vous le devoir sacré de la garder à votre place ?… ; j’en serais si heureuse !…