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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

— Le pantalon aussi ?… regretta Lucienne.

— Non. Il glissera tout seul. Mais, en haut, il faut débrider largement. Armons-nous de courage et de ciseaux.

Ils me remirent sur le dos et, à larges entailles intéressant également ma chemise, ils vainquirent la difficulté.

— C’est délicieux de couper !… déclarait Tornada. Si je n’étais pas chirurgien, je voudrais être tailleur.

— Moi aussi, j’aurais aimé la couture… indiqua Lucienne.

— Moi, c’est la mode… préféra Mme Godsill. Et je vérifiais, en ces réflexions, que les sentiments les plus pathétiques se dissolvent aux banales exigences de la sociabilité. Quand je fus tout nu :

— Il est velu comme notre ancêtre l’orang-outan ! … remarqua Tornada.

— Mais il est bien fait. On ne s’en serait pas douté sous ses vêtements… apprécia Mme Godsill.

Lucienne agréa, peut-être comme un compliment, l’opinion de son amie, mais elle eut le tact de se taire.

La difficulté s’accrut quand il s’agit de me mettre en « gala ». J’opposais une impassibilité, une force d’inertie irréductibles.

— Il ne veut rien savoir… dit Tornada. Mais j’ai une idée. Nous allons le sortir du pieu et une fois qu’il sera debout, droit comme un piquet, ça ira tout seul.

Il grimpa sur mon lit, pour donner le coup d’épaule.

— Oh ! hiss !… Oh ! hiss !… glapissait-il en même temps, pour régler les forces employées à me déplacer.

Et il grogna encore :

— Non ! Ce qu’il est têtu !… Mais grouille-toi donc le mou, vieil Étienne !… Quand je dis : le mou : c’est le dur, qui serait plus exact !…

Il se releva découragé :

— Et on prétend que les morts vont vite !…

Ils reprirent la manœuvre. Je fus enfin dressé,