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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

totalement piqué. Réfléchissez cependant, mes belles. Voici un poète mort, Étienne Montabert. Il est allongé, immobile, rigide, l’air plus serin encore que pendant sa vie. Demandez-lui : ton âme est-elle encore en vie : il ne vous répondra pas. Chatouillez-le : il restera insensible. Oui, insensible aux plus agréables papouilles. Mais est-ce que ça prouve que, sous ses méninges, les neurones ne s’accrochent pas encore ? Qu’est-ce qui vous prouve que, son organisme étant arrêté, son gésier cérébral ne reste pas en fonctions ? Est-ce que les ongles ne continuent pas à s’accroître post morten ? Est-ce que les poils ne persistent pas à folâtrer ? Est-ce que la barbe ne prend pas l’ampleur fluviale de la mienne ?… Dites, mes mignonnes ?… Et si je vous démontrais expérimentalement, physiologiquement, scientifiquement, irréfutablement que j’ai raison : qui est-ce qui rigolerait le dernier, dites, mes gentilles ?…

Il ricanait. Un silence, — je puis dire un silence de mort, puisque j’y participais, — suivit sa déclaration. Je devinais, au trouble que j’en éprouvais moi-même, l’impression que ce problème de l’au-delà devait faire sur ses auditrices.

Mais il nous en dégagea :

— Allons ! troussons-le pour le grand voyage !

Ce fut un travail. Mes muscles s’étaient encore tendus et opposaient à l’enlèvement de mes vêtements une résistance insurmontable. Allez donc déshabiller une statue de bronze, couchée…

— Fichtre ! Je n’ai jamais constaté une rigidité cadavérique aussi épatante !… se réjouit Tornada.

Vainement, ils tentèrent de m’asseoir sur mon lit : mes reins ne pliaient pas. Vainement, ils me retournèrent tout d’une pièce pour m’enlever mon veston par le dos : mes bras le retinrent collé au torse.

— Nous n’y arriverons pas, mes poulettes. Il faut lui couper ses frusques. J’en suis navré, par le temps qui court vous auriez pu les revendre un bon prix. Mais quel autre moyen ?…