Il me chargea. Ses reins craquèrent, mais il m’emportait. Il me fit prendre par le grand salon, puis par le petit, puis par le cabinet de travail qui donnait directement sur ma chambre. Il menait un train d’enfer. Mais l’enfer n’est pavé que de bonnes intentions ; et le malheur voulut qu’il me mît un peu trop brusquement en rapport avec une colonne supportant une admirable potiche en Japon ancien, décorée de guerriers terrifiants auxquels je réclamais l’inspiration de la fureur quand j’avais à faire s’interpeller des gens irrités. Et patatras ! voilà mes héros jonchant à leur tour le sol.
— Qu’est-ce que va dire Madame !… se lamenta Anna…
— Bah !… on l’enverra à mon patron. Y recolle peut-être aussi bien la porcelaine qu’y décolle ses pratiques… grasseya le chauffeur de Tornada.
Hercule me déchargea sur mon lit. On me fit pivoter, pour que je l’occupasse dans la longueur. On me recouvrit provisoirement d’un drap et Anna, qui savait le prix de l’effort, emmena ces travailleurs de la mort à la cuisine, pour sabler encore un litre avant de retourner aux ardeurs de la rue.
Je restai seul. Les morts, s’ils pouvaient réfléchir, se diraient qu’on les importune singulièrement dès leur dernier soupir. On les habille, on les pare, on les éclaire ; on marmotte des prières autour d’eux : on ne leur laisse vraiment pas une seconde de vrai repos. Moi, j’étais seul et je ressentais vivement, pour l’instant, le privilège de l’abandon.
CHAPITRE ii
Hélas ! je fus bientôt rappelé, et d’une façon stupéfiante,
aux contingences. Dès que mes déménageurs
furent partis, Anna revint. Elle ne fit que traverser.
Je reconnus son mouvement au crissement de
sa robe de soie, une démise de ma femme. Elle se di-