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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

Voyons ! qu’allais-je donc là penser ! Tornada se livrer à de pareilles gamineries ! Tornada, mon vieil ami du quartier Latin ! Tornada le parrain de Ninette !… Il l’aimait tellement, cette petite, qu’il n’eût jamais jeté cette infamie sur Lucienne, également éprise de sa belle-fille et ne cessant de manifester devant lui sa tendresse pour l’enfant. Est-ce que cette adoration commune ne leur constituait par un lien ? Est-ce que Tornada ne savait pas que Lucienne m’aimait, en dépit de la différence d’âge ? Tornada ?… Jamais. Qui l’on voudra, mais pas Tornada.

En fait, mon vieux camarade restait impassible sous mon œil scrutateur. Mais d’une étonnante réceptivité, il avait certainement compris ce qui venait de se débattre en moi.

— Soupçonner ta femme !… jamais de la vie ! Elle est charmante, ta Lucienne. Elle pourrait te faire honneur…

— Mais, elle me fait honneur !

— Certainement. À sa façon. Elle est mondaine… elle porte bien la toilette. Elle sait gaspiller l’argent. C’est une maîtresse de maison qui a le bon sens de ne pas se perdre dans les petits détails d’intérieur, de laisser la direction du ménage à Mlle Robin, l’institutrice. Aux autres le turbin, à elle l’ornement du foyer… la danse, le chant, le flirt… car elle flirte aussi… Enfin, c’est une femme parfaite : pourquoi la soupçonnerais-je ? … de quoi ?…

Il ne me donnait pas le change. Mais je mettais sa rancune sur le compte du pieux souvenir qu’il gardait à Émeline, ma première femme, la mère de Ninette.

Il conclut :

— En résumé, tous tes malaises se passent dans tes méninges. C’est là qu’il faut porter le fer… et ce n’est pas incurable.

— Alors, guéris-m’en !

— J’en ai, certes, la possibilité… tu y tiens ?

— Si j’y tiens !